Sitemestre * * * * * *
| Sujet: Hommage à Madeleine Ven 04 Sep 2009, 21:28 | |
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De Nil Auclair, écrivain canadien, en hommage à Madeleine Bernier-Desrosiers 1940- 2009[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Belle qualité de vie, mais … SAINT-HUBERT- Décembre 2007. Madeleine sourit. Sa table est bien garnie de tous les trucs de Noël. Debout, elle lève son verre. Vide. Salut aux invités! Madeleine est fière de son coup : partager ce repas. Trois heures autour de la table. Elle n’a « d’yeux » que pour ses amis. Discrètement elle se gave de son boost pendant qu’ils « doivent vider les plats… » Ses yeux pétillent à m’entendre jouer des airs de Noël à son piano. Elle n’hésite pas alors à faire quelques pas de danse. Pourtant elle aurait toutes les raisons du monde de pleurer. À 54 ans, sa vie avait pris un tournant bien bizarre.
« J’ai été opérée en 1994 pour un cancer de la gencive, langue, mâchoire, larynx. Ils ont tout enlevé, la langue comprise. Ils ont refait le plancher et le palais de ma bouche, la mâchoire du côté droit, gencive aussi. Incapable d’avaler. Pas de langue pour pousser la nourriture. Le passage est bloqué. Je suis habituée. Je ne parle pas du tout. J’ai une petite machine qui ressemble à un ordi. que je trimbale partout. Je m’exprime avec cela. Tout va bien. J’ai une belle qualité de vie, je suis heureuse. » Nouvelles vie et voix quoi. On parle alors de laryngectomie totale et glossectomie pour celle qui signe depuis : Madeleine ’94. Ce n’est pas tout. « De grosses briques » comme elle dit l’attendent. Veuve 3 fois. Vivre le deuil, en 2006, d’une de ses 3 filles âgée de 49 ans. Et la plus exécrable des briques… « Depuis 2004, je suis en dialyse. Ça pris un an avant de l’accepter celle-là. Maintenant ça va. »
Comment résumer Madeleine? Une combattante pour moi. Parce que par-dessus tout, elle aime. Beaucoup et grand. Voilà. « Son pays, c’est la vie » de dire André Vincent, laryngectomisé. « Voici vos pilules, doc. Je suis allé chercher Poutchi mon petit chien, à la place. Il ensoleille mes matins. Quand je suis retournée chez le doc avec Poutchi dans un petit sac spécial, je lui ai dit : Il est le meilleur des remèdes. Le doc. a trouvé que c’était une très bonne idée. » Rendez-vous médical oblige. Madeleine utilisera s’il le faut sa pelle pour « …sortir mon auto de la neige. » Pas de complexe avec les restos : « (…) ceux qui doivent porter des béquilles ne se sentent pas obligés de se cacher. Pourquoi je cacherais ce qui fait maintenant partie de moi ? » Elle traversera l’Atlantique. Elle pestera contre un employé qui « a mal installé ses draperies dans sa demeure. « Le monsieur faisait ce travail tout croche.» Tolérante ? Oui. Elle oubliera vite une séance de dialyse entre autre très très ardue. Elle aurait bien aimé se « sucrer le bec » à la cabane à sucre…
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] « Nous avons une destinée… » Les Internautes des notre espèce -laryngectomisés- aiment lire Madeleine. Elle possède une voix unique sur L’Ouverture au Québec et La Voix Brisée de France. Elle affiche ses convictions. « Nous avons une destinée, je crois que nous sommes venus sur terre parce que nous avons des choses à accomplir. Nous venons apprendre aussi et lorsque nous sommes dans notre élément, quoi qu’il arrive, nous sommes heureux. C’est mon opinion » Henri- webmaster de La Voix Brisée - souligne « la force et le courage de celle qui aimait la vie. » Brigitte Chemin, épouse d’un laryngectomisé français- l’a qualifie de « grande dame. » Moments privilégiés pour moi que cette rencontre avec Madeleine en septembre 2007! Un comptoir de cuisine « tout nu »; un frigo vide, pas d’odeur de cuisson dans sa jolie maison. Elle m’attendait avec André Vincent. Avec son sourire et du fric sur le coin de la table de cuisine pour payer 2 exemplaires de Cancer d’la Gorge dont j’avais souhaité qu’elle préside son lancement. « Je dois faire ma part moi aussi pour aider la Société Canadienne du Cancer. » Nous parlerons. Simplement. En toute amitié. Elle avec sa « bidule électronique », moi avec ma voix trachéo-œsophagienne. Elle insistera pour téléphoner à mon épouse pour « lui dire un mot… » « Nous nous sauvons, ou nous nous perdons nous-mêmes », écrivait Teilhard de Chardin. À travers toutes ces énormités du temps et de la maladie, au milieu de toutes ces mailles déconcertantes qui ne cessent de la frapper, cette humble Madeleine est pour moi du lot de ceux et celles qui se sauvent. Piétinant ainsi toute forme de perdition de soi-même.
Prochain rendez-vous Le 24 avril 2009, Madeleine manque son rendez-vous en dialyse. Elle en avait pris un autre. Celui de la mort. Elle aura été autonome jusqu’à son ultime souffle. Le 3 mai, je l’ai revue. Elle respirait… avec la mort. Non, elle dégageait encore, dans son cercueil, cette envie de batailler et « d’enseigner » que nous pouvons, même atteint d’un cancer, nous payer une qualité de vie.
Dans mes heures de cafard, j’ai mon repère. Celui de Madeleine ’94.
Nil Auclair, laryngectomisé Saint-Jean-sur-Richelieu.
4 août 2009
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